Malika Mokeddem : La femme qui marche

Publié le par Le Café Littéraire

 

Malika Mokeddem : la femme qui marche.

 

L’œuvre de Malika Mokeddem, commencée au début des années 90 reste l’une des écritures algériennes des plus singulières de par son pari à exister singulièrement comme écriture, une écriture rebelle qui participe à battre en brèche les amalgames et les jugements simplistes véhiculés de par le monde à l’encontre des femmes, et qui ne considère pas que les algériennes représentent un groupe monolithique, se refusant à se déclarer porte-parole,  revendiquant un territoire d’écriture. 

 

Son parcours reste singulier avec un tempérament révolté qui ne s’inscrit pas dans une continuité et une écriture en progression qui refuse les clichés, les perceptions exotiques sur l’écrivaine du désert, la femme engagée. 

Malika Mokeddem écrit des livres de transgression. Un être qui a toujours été du côté de la rébellion et jamais du côté de la soumission. Elle se définit comme « une femme de frontières » qui refuse tous les enfermements, que ce soit dans un territoire ou dans une tradition. Ce qui lui permet, en restant en dehors, de garder une capacité de discernement, de lucidité, de liberté dans  le regard qu’elle porte en regardant son pays qui reste la matière, le sujet dominant de son écriture.

Sa production romanesque révèle à travers le temps, de 1991 à 2008, dans neuf romans distincts, des discours variés, selon le thème abordé, ainsi qu’une information politique et sociale aisément repérable.

Cependant, c’est depuis le désert de l’enfance qu’il faut tenter de lire et relier les romans de Malika Mokeddem. Des romans qui enseignent les origines et la transgression de ces origines. Un métissage aussi bien biologique- Malika Mokeddem étant «  fille du désert et de l’oralité, petite fille d’une nomade bédouine, héritière du sang noir d’une ancêtre africaine »1- (que culturel , selon Yolande Aline-Helm qui affirme que «son identité s’est aussi nourrie de la culture occidentale transmise par les lectures et l’écriture. »

Comme l’aïeule nomade, sédentarisée, qui résiste en contant le monde nomade, le trop plein de mots ressurgit des années plus tard chez Malika Mokeddem, une fois les études terminées, et la réalisation d’un certain nombre de buts assignés. Devenue médecin, en exil en France, le refuge dans la lecture ne suffira pas :

 

       « Encore une fois, j’ai essayé de trouver refuge dans la lecture. Mais je ne pouvais plus y entrer. Le trop plein de mots et de maux en moi muets, depuis si longtemps, m’avaient saturée. Il ne me restait plus dans ma tête d’espace disponible aux mots des autres. Non-dits refoulés, sabrés, oubliés, secrets, couvés, morts nés (…) Il y avait surpopulation d’inexprimés en moi.» 2

       A
près une scolarité primaire à Kenadsa, des études secondaires à Béchar, Malika Mokeddem entame des études de médecine à l’Université d’Oran, études qu’elle poursuivra à Paris puis à Montpellier en se spécialisant en néphrologie. C’est en 1985, après l’obtention du diplôme de néphrologue, qu’elle interrompt ses activités professionnelles pour se consacrer à l’écriture.

C’est en France, à Montpellier qu’elle  conquiert l’espace nécessaire à l’écriture. Cette double appartenance lui offre le recul nécessaire pour aiguiser son esprit critique, sa lucidité entre les deux rives.

Ce n’est qu’après son diplôme de néphrologue que Malika Mokkedem  se mettra à l’écriture. Son premier roman «Les hommes qui marchent» est écrit en 1985 mais ne sera édité qu’en 1991.

Malika Mokeddem avait déjà quitté sa famille, des amis, un pays. Elle se met d’abord à écrire par nécessité : « D’abord lentement comme lorsque le risque est grand. Mais ils se sont bousculés, les mots du silence, les maux de toutes les absences. Ils me sont tous remontés, en même temps. Ils m’ont débordée, m’ont asséné une brutalité salutaire. J’en suis restée ivre et désemparée. »3 Dans son premier roman, Les Hommes qui marchent, Malika Mokeddem met en scène la scène inaugurale appelant à l’écriture, celle de l’ancêtre, de la Grand-mère Zohra, ou plus précisément ce qui fait exister Zohra, c’est à dire la parole d’une conteuse, la première de la généalogie des conteuses, qui, en quittant le grand espace nomade pour la sédentarité, sent un avant-goût de mort :

L’immobilité du sédentaire, c’est la mort qui m’a saisie par les pieds. Elle m’a dépossédé de ma quête. Maintenant, il ne me reste que le nomadisme des mots. Comme tout exilé. (p. )

 

Il ne reste que les mots, comme Zohra, à Malika Mokeddem, la fille de nomades analphabètes, pour apprivoiser l’angoisse des grands espaces du désert. 

C’est à sa grand-mère, à travers Zohra, cette poétesse analphabète, qui lui a transmis le souffle irrésistible du conte, que l’auteur donne la parole dans son premier roman.

Malika Mokeddem en est à son neuvième roman  et son parcours peut être cerné à travers l’incrustation de l’autobiographie dans toute son œuvre. Le nouvel horizon ouvert par les textes de Malika Mokeddem est de nourrir l’espace bio-autobiographique, où vie et écriture fusionnent, l’écriture faisant acte de vie.


                                                                                                               Par N. Benamara
  

 1 Préface, Y.A Helm, Malika Mokeddem, Envers et contre tout, L’Harmattan, 2000, p.7.

  2 M. Mokeddem, « De la lecture à l’écriture : résistance ou survie ?, La Nouvelle République, n° 231 ? 6-7 nov. 1998.)

  3 Idem

   

Œuvres de Malika Mokeddem

ü Les Hommes qui marchent, Ramsay, Paris, 1990, rééd.
Revue chez Grasset en 1997.

ü 
Le Siècle des sauterelles, Ramsay, Paris, 1992.

ü     L’Interdite, Grasset, Paris, 1993.

ü    Des Rêves et des assassins, Grasset, Paris, 1995

ü    La nuit de la lézarde, Grasset, Paris, 1998.

ü    N’Zid, Grasset, Paris, 2001.

ü    La Transe des insoumis, Grasset, Paris, 2003.

ü    Mes Hommes, Grasset, Paris, 2005.

ü   Je dois tout à ton oubli, Grasset, 2008.

 

 

 

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